Lettres à Elise
Lorsque lassé des élucubrations incohérentes sur l’amour que profère le décérébré Bernard Werber tout au long de ses « livres », déçu des babillages pour petites filles ferventes adoratrices des blagues de Picsou Magazine de Amélie Nothomb, écoeuré de l’histoire d’amour éculée entre deux adolescents qui se suicident sans baiser (Roméo et Juliette), bref, lorsqu’on veut un livre, un vrai, on va à la FNAC (ou à Auchan, ou à Super U) et on achète « les cimetières sont un champ de fleurs » de Yann Moix (le type qui a aussi écrit l’incroyable « Podium » qui narre de façon hilarante et cruelle le quotidien des fans de Claude François).
« Les cimetières… » pourrait avoir pour sous-titre « Lettres à Elise ». Elise est la femme de Gilbert. Le livre commence alors qu’elle a eu un accident avec leurs jumeaux, alors qu’elle était au volant de la voiture, en train de rire d’un sketch de Fernand Raynaud (ce qui fait dire à Gilbert : « Je suis sans doute le seul homme sur la terre à avoir perdu ses enfants à cause de Fernand Raynaud »), accident mortel pour les enfants mais dont elle sort indemne. Physiquement. Et Gilbert la tient pour responsable ET coupable. Il va le lui faire payer en cessant de lui parler (un peu à l’image de Gabin dans « Le chat »), puis en la torturant (il l’oblige à regarder des images des vacances, il lit des contes dans la chambre des enfants), tout en cherchant à se suicider (mais pas un suicide commun, il veut un suicide fou, à l’image de ce qu’il est devenu. Il va tout tester : les partouzes, les putes, il va aller insulter deux « bougnoules » dans une cité, il veut s’essayer aux drogues… Un suicide social). Tout en perdant la tête, il cherche le pire pour la « saloperie » qui dort au même lit que lui. Et qu’il n’a jamais aimé, lui qui reste hanté par le souvenir de Myriem.
J’aimerais beaucoup, saloperie, que tu t’effondres sous mes coups de mari, en souvenir de cette alliance en forme de trou, parce que tu me fus trou, et seulement trou. T’aurais-je tant aimé pour ta gueule aux orbes pâles, ta frime en déchet ? Nenni, vieille pintade. T’aurais-je aimé pour l’argent ? Tu n’en avais pas. Je fus fou de t’épouser, de dire oui, de permettre à ta viande de côtoyer mon esprit, de t’inviter à contaminer mes jours par les tiens. Tu es ma tumeur. Je vais mourir d’un cancer de ma femme.
Cette haine folle va atteindre son paroxysme au moment du suicide d’Elise, qui ne supporte plus cette vie. Et puis…
Et puis Gilbert va découvrir les cahiers intimes de sa femme, dans lesquelles elle consignait tout l’amour qu’elle avait pour lui. Et Gilbert dont la haine avait atteint des sommets d’indécence, va découvrir que cette femme était finalement tout pour lui. Il va s’enfuir, et fonder un centre. En mémoire de sa femme. Un centre de recherche avec de vrais chercheurs qui consacreront leur vie à tout savoir d’Elise. Parce que c’est un amour fou et irraisonné qui saisit Gilbert. Il veut tout savoir d’Elise. Tout ce qu’il n’a jamais eu l’envie ni le temps de savoir alors qu’elle était encore là. Il écrit, lit, fait effectuer des recherches. Un travail de fou. Il était fou dans la haine, il sera fou dans l’amour. Mais pas « fou d’amour » au sens d’un chanteur merdique pour jeunes prépubères en string. Non, fou d’amour au sens médical.
Et Yann Moix, dont je n’arrive pas à imaginer l’état dans lequel il était en écrivant ces mots de haine et d’amour, Yann Moix écrit parfaitement. A la folie…